Menu
Libération
Reportage

La Chapelle, une «no-go zone» interdite aux femmes à Paris ?

Une pétition lancée ce vendredi dénonce le harcèlement de rue dont sont victimes plusieurs habitantes de ce quartier populaire et métissé du nord de la capitale. Un ras-le-bol un peu caricatural ?
par Sylvain Mouillard
publié le 19 mai 2017 à 19h26

Elle est restée vingt minutes chrono, réfugiée dans le hall d'un immeuble de la place de la Chapelle pour répondre, dans un calme précaire, aux questions des médias. L'opération récupération de Valérie Pécresse, la présidente (Les Républicains) de la région Ile-de-France, n'a pas traîné. Quelques heures après la publication d'un article du Parisien relatant les situations de harcèlement et d'agressions dont sont victimes des femmes dans ce quartier du nord de Paris, Pécresse s'est donc rendue sur place, pour dénoncer la «ségrégation» dans l'espace public et apporter son soutien à la candidate LR aux prochaines élections législatives, Babette de Rozières.

Mais la déambulation des deux élues franciliennes a été perturbée par une vingtaine de militants et citoyens proches des collectifs de soutien aux réfugiés. Brandissant des pancartes «Le sexisme n'a ni origines, ni couleurs», ces activistes ont dénoncé la «manipulation électoraliste» de Valérie Pécresse. A leurs yeux, faire le lien entre des agressions sexistes et la présence de nombreux migrants dans le quartier est un «amalgame raciste».

L'affaire est hautement inflammable. Six mois après la diffusion d'un reportage de France 2 sur le désormais fameux «bar PMU de Sevran», qui en interdirait l'accès aux femmes, et deux mois après la publication d'une contre-enquête par le Bondy Blog, on retrouve là les mêmes ingrédients propices aux emballements : sentiment d'insécurité, agressions sexistes, vente à la sauvette, trafic de drogues, le tout dans un quartier populaire où les pauvretés s'additionnent.

«Les femmes, espèce en voie de disparition»

Qu'en est-il des faits ? Ils se déroulent aux alentours du métro La Chapelle, un lieu très fréquenté puisque cette station de métro donne accès à la gare du Nord. Situé à quelques encablures de Barbès, ce quartier cosmopolite du XVIIIe arrondissement est devenu, ces dernières années, un carrefour où se retrouvent de nombreux exilés au milieu de leur parcours migratoire.

Plusieurs campements à ciel ouvert ont d’ailleurs été démantelés dans le secteur, d’abord sous le métro aérien, puis sur l’esplanade Nathalie Sarraute, et enfin dans les jardins d’Eole. Mais les migrants, malgré les tentatives des pouvoirs publics de les invisibiliser, n’ont pas disparu. Quelques dizaines de personnes, notamment de nationalité soudanaise, vivent dans le dénuement le plus total sur une petite placette, à l’angle de la rue Pajol et de la rue Philippe-de-Girard.

D'autres phénomènes sont à signaler : recrudescence des vendeurs à la sauvette sur les trottoirs, trafic de drogue, alcoolisation sur la voie publique. Autant de facteurs qui ont décidé plusieurs riverains à lancer une pétition au titre rentre-dedans : «La Chapelle et Pajol : les femmes, espèce en voie de disparition à Paris.» Signée par 1 500 personnes ce vendredi à 17 heures, on y lit notamment : «ll y a les insultes, dans toutes les langues : "Salope, sale pute, je vais te baiser…" ll y a les vols à la tire, les pickpockets, l'alcoolisme de rue, les crachats, les déchets partout, l'odeur entêtante d'urine. […] Désormais, la place de la Chapelle, la rue Pajol, la rue Philippe-de-Girard, la rue Marx-Dormoy, la station de métro et le boulevard de la Chapelle sont abandonnés aux seuls hommes.»

«Ma conjointe fait des détours»

Pauline et Gaël, membres de l'association «Demain La Chapelle», ont participé à sa rédaction. Insistant sur la dimension «apolitique» de leur démarche, ils estimaient nécessaire de ne plus «intérioriser» certains problèmes. «Je n'ai jamais été victime d'agression physique, témoigne Pauline, mais en allant au métro, je dois physiquement m'imposer au milieu d'attroupements d'hommes, et j'écope parfois d'insultes.» Gaël, lui, dit que sa compagne subit régulièrement le même traitement. «Les problèmes dans le quartier se sont sédimentés ces dernières années, précise-t-il. Les campements sauvages ont créé des conditions de vie inacceptables pour les migrants, mais aussi pour les riverains, qui voient ça sous leurs fenêtres. Et puis les trafiquants ont fondu comme des rapaces, ce qui a accentué la vente de drogue, d'alcool, de faux papiers.»

Jules, qui réside dans le quartier, raconte les stratégies d'évitement pour éviter tout problème : «Ma conjointe fait des détours pour rentrer chez nous. Quant à moi, je baisse les yeux quand je dois passer par-là, je me fais tout petit et je ne sors surtout pas mon téléphone portable.» Tous réclament une présence policière renforcée.

Fanny, elle, relativise les faits évoqués dans la pétition et l'article du Parisien : «J'habite le quartier depuis sept ans et je n'ai jamais été embêtée. C'est vrai qu'il y a une foule et une densité qui peuvent être rapidement pénibles autour du métro, avec des mecs qui s'apostrophent et s'engueulent, mais je ne trouve pas que ça soit plus pénible que dans d'autres lieux publics pour les femmes.» Se décrivant «de sensibilité féministe forte», elle reconnaît sa gêne face à la polémique, estimant qu'elle «est bourrée de trucs faux».

 «Les femmes ne sont pas chassées systématiquement»

Même sentiment chez Jean-Raphaël, un habitant du quartier, qui regrette «l'utilisation de prétextes féministes à des fins racistes» : «Le harcèlement de rue est quelque chose de très sérieux, mais il ne faut pas oublier qu'il est aussi le fait d'hommes blancs et français.» Pour lui, le «ras-le-bol et le sentiment d'abandon se sont exprimés de façon un peu caricaturale : il n'y a pas une tension permanente dans ce quartier. Je ne nie pas le harcèlement de rue, voire les agressions sexuelles, mais des milliers de femmes passent là tous les jours sans rencontrer de problème. Elles ne sont pas chassées systématiquement comme on veut le faire croire.»

Contactée par Libération, Colombe Brossel, adjointe à la maire de Paris en charge de la sécurité, assure que ses services se préoccupent depuis «longtemps» de la situation sur place. Elle indique avoir écrit à Gérard Collomb, le nouveau ministre de l'Intérieur, pour s'assurer que la plus forte présence policière autour de Barbès ces derniers mois sera pérennisée. Dans un communiqué, le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, a assuré vendredi que les efforts seront «prioritairement axé(s) sur le secteur Pajol afin de faire cesser ces actes de discrimination inadmissibles à l'égard des femmes».

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique